Maître d'ouvrage : DRAC Région Centre.
Maître d'œuvre : Monsieur Eric Brottier, Technicien-Conseil.
Orgue de Louis Bonn (1852), classé Monument Historique. Restauré en 1994.
Restauration récompensée par le Grand Prix Départemental des Métiers d'Art.
Table des matières :
Grand-Orgue, 54 notes :
Montre 8 | Prestant 4 | Bourdon 16 |
Flûte 8 | Bourdon 8 | Nazard 2 2/3 |
Cornet V rgs | Basson 8 | Trompette 8 |
Clairon 4 |
Récit Expressif, 42 notes :
Flûte 8 | Gambe 8 | Voix Céleste 8 |
Flûte Harmonique 4 | Dulciane 4 | Hautbois 8 |
Pédale, 18 notes.
Tirasse GO, Accouplement Rt/GO, Trémolo
L'orgue de l'église Notre-Dame de Richelieu a été construit en 1853 par le facteur Louis Bonn (né le 7 juin 1818 à Edenkoben (Bavière), il se marie le 3 septembre 1844 à Tours avec Adrienne Zanger, fille d'un ébéniste lui aussi d'origine allemande. Son activité professionnelle semble débuter avec l'édification de l'orgue de St Saturnin à Tours en 1845. La liste des témoins de la naissance de son fils donne le nom d'un de ses compagnons : Joseph Baumer ainsi que d'un menuisier : Joseph Seger. Sans doute exilé ou du moins écarté de Tours en 1870, son activité se réduit alors considérablement. Il meurt à Fondettes le 20 Juillet 1881).
L'intérêt historique de cet orgue vient de la personnalité de son créateur. C'est la première restauration à l'identique d'un orgue classé de Louis Bonn. Elle doit servir de point de départ pour une meilleure connaissance de ce facteur et de ses techniques dont on ne sait presque rien. Il a couvert d'orgues toute la région Centre ainsi que le département du Maine et Loire. Sa production serait d'environ une quarantaine d'instruments.
L'orgue de Richelieu est l'un des plus cohérents dans sa facture. Sa taille en fait un des plus importants. On pensait, à l'origine, que Bonn faisait appel à une importante sous-traitance pour la construction de ses instruments et se serait contenté de la partie montage et harmonisation. C'est, de toute évidence, le cas pour les buffets, dont celui de Richelieu. On sait aussi qu'il réutilisait du matériel ancien notamment pour la tuyauterie, et on trouve à Richelieu plusieurs tuyaux du XVIIIe siècle. Notre visite de plusieurs autres instruments nous a permis, en fait, de constater une constance de fabrication qui ne semble pas pouvoir être attribuée à une sous-traitance.
Il court, autour de l'orgue de Richelieu, un ensemble de légendes qui, du fait du manque d'archives, sont invérifiables. Ainsi la tribune n'aurait pas possédé d'escalier et l'organiste devait être monté dans un panier par palan; la disparition du Cornet serait le forfait de l'entreprise Gloton pour se payer de la pose du ventilateur... Par contre, que la tribune ai été construite après l'orgue est exact, on peut même remarquer que l'actuel faux positif servait de banc pour jouer l'orgue. Mais rien ne dit que la tribune fut reconstruite après la mort de l'organiste tombé par dessus la rambarde. Plusieurs témoignages se recoupent aussi pour affirmer que les postages du Cornet n'ont disparu que très récemment.
L'étude de l'instrument apporte la preuve de deux interventions postérieures à l'édification. Une première intervention due à Debierre ou ses successeurs, lors de laquelle furent remplacés les trois tuyaux de façade de la tourelle centrale ainsi que toutes les peausseries de joint (peaux traitées violettes). Une seconde plus récente, durant laquelle fut «rectifiée» l'harmonisation du récit.
L'étude préalable consiste en une coupe de profil, un relevé de tuyauterie et un descriptif de démontage.
La coupe de profil au dixième est relevée sur ordinateur portable, la précision du détail étant de cinq millimètres. Nous avons établi en réalité 4 coupes qui correspondent aux quatre postes suivants : structure interne, parcours du vent, mécanismes des jeux, mécanismes des notes.
Le relevé de la tuyauterie, note à note, jeu par jeu consiste en la mesure d'une dizaine de paramètres sur chacun des 756 tuyaux. Chaque jeu est relevé sur un tableau qui permet une étude comparative, les paramètres mesurés sont ceux utilisés pour la fabrication des tuyaux. À partir de ces relevés, on peut chercher les coefficients de progression taille/longueur d'onde, hauteur/largeur de bouche et déceler les éventuelles anomalies (cf. Tuyauterie).
Le descriptif de démontage n'est pas reproduit ici. C'est un cahier sur lequel nous enregistrons chaque pièce dans l'ordre du démontage. Cela permet d'attribuer pour chaque pièce un numéro d'ordre et pour les vis un numéro de paquet. Dans l'orgue de Richelieu chaque pièce était déjà répertoriée par un signe d'établissement ou un numéro frappé au ciseau (rouleaux de registres, chapes, croissants, faux-sommiers, postages...) signe d'une excellente organisation soit au montage soit lors de la restauration Debierre.
Dans un deuxième temps, il fallait faire un travail de recherche pour la reconstitution d'éléments manquants ou disparus. Il nous manquait deux demi-jeux : un dessus de Cornet constitué de 150 tuyaux et une basse de Basson de 24 tuyaux. Nous avons visité trois orgues, l'un à Blois, l'autre à Montreuil-Bellay et le troisième à Challans pour comparer les jeux existants. Finalement, il n'a pas été possible de trouver de Basson complet, nous avons donc procédé par extrapolation par rapport à la première octave du Hautbois de Blois. Quant au Cornet, nous avons utilisé les perces du tamis, resté sur place, pour retrouver les diamètres correspondants, en suivant la progression des pieds par rapport à leur hauteur. La seule question, par rapport aux autres Cornets relevés, était de savoir s'il fallait des cheminées au rang de Bourdon. À Blois, il y a des cheminées mais aussi sur les Bourdons 8 et 16. À Montreuil Bellay, il n'y en a pas, par contre, les calottes sont mobiles. Nous avons pris le parti de suivre l'exemple des bourdons existants dans l'orgue : sans cheminées, à calottes soudées.
Le buffet est la seule partie visible de l'orgue, pour le visiteur, c'est le seul élément d'appréciation. Avec son élévation, ses motifs décoratifs, ses statues qui semblent s'élancer dans le vide, le buffet a très fière allure. Pourtant, tout est faux. C'est une caisse en sapin avec un panneautage en peuplier sur laquelle on a placé un décor en stuc. Mis à part les culots des tourelles (car le haut n'est qu'une feuille de zinc rapportée) et les moulures qui restent en bois. Les épaisseurs sont très faibles : 27mm pour les montants et 12mm pour les panneaux, on remarquera que certaines vis d'éléments internes dépassent du buffet. L'ensemble est recouvert par une peinture faux-chêne, apposée après l'aggrandissement de la tribune (la traverse entre le grand buffet et le positif est peinte en continuité avec le motif de console). Le visiteur pourra d'ailleurs constater que tout le mobilier de l'église est ainsi traité.
La soustraitance du meuble est évidente, une telle réalisation demandait des moyens techniques qui dépassent ceux d'un simple menuisier. Il serait intéressant de rechercher les ateliers capables d'un tel travail. Petit détail amusant, à l'origine, son fabricant n'avait pas prévu de porte. En effet, il restait un accès par la console qui forme un bloc avec son entourage. Cette partie, sans doute fabriquée par Bonn, se rattache au buffet au niveau des baguettes en demi-rond. Notre facteur coincé avait dû, malproprement, il faut le reconnaître, défoncer les panneaux arrières pour accéder à sa mécanique.
La restauration du buffet s'est faite en trois étapes :
L'orgue est un instrument à vent. Son fonctionnement dépend d'une soufflerie sous pression, mue par un ventilateur électrique. Depuis la sortie du ventilateur jusqu'au tuyau, il faut assurer l'étanchéité du parcours. Dans la plupart des restaurations, c'est un poste important. En effet l'étanchéité est obtenue par des joints de peau de mouton et la durée de vie des peaux est d'environ un siècle pour les orgues les mieux construites.
L'élément le plus important est le réservoir, c'est un caisson en bois ayant la forme d'une lanterne vénitienne. Une série de châssis forme l'armature et les châssis sont reliés entre eux par des lattes de bois appelées éclisses. Les éclisses sont collées entre elles et sur les châssis par des bandes de peaux chanfreinées de façon à leur permettre de se replier. Les extrémités, les aines ou les nez suivant que le pli est rentrant ou sortant sont colmatés par de larges peaux, souvent doublées. L'ensemble est encollé à la colle chaude de nerf et habillé extérieurement d'un papier.
La technique de montage des charnières est légèrement différente de celle que l'on voit habituellement. Au lieu d'une peau interne et d'une peau externe, la charnière est une peau unique croisée.
La fonction du réservoir est de garantir une réserve en vent à la pression de 85mm de colonne d'eau. Cette pression est obtenue par des poids en brique et en pierre de taille.
Du réservoir part un portevent unique (425x175) qui alimente à la fois le clavier de Grand-Orgue et le Récit. Il n'y a pas de pans coupés mais que des raccords perpendiculaires à plats-joints avec des sur-longueurs qui entrainent certainement des turbulences. Cela se sent à l'écoute, le vent est assez nerveux et donne une impression générale d'instabilité.
Au Grand-Orgue, c'est le fond du sommier qui alimente les layes. Avec, pour la laye des anches, trois soupapes coupe-vent, placées en biais et tirées par le mécanisme d'appel des basses et des dessus. En 1852, il y a très peu de facteurs utilisant le système de la double laye, introduite par Cavaillé-Coll dès le projet de St Denis. Bonn a donc très rapidement eu connaissance et assimilé ces apports, par quel biais ?
Dans le cadre de Richelieu, l'étude préalable a fait apparaître des lésions sur le sommier du clavier de Récit. Au démontage, il s'est avéré que tous les joints de la table étaient fendus. Le premier travail fut la dépose des cadres, du parchemin obturant les gravures, en chauffant les pièces ou en utilisant de l'alcool dilué. Pour rejointoyer la table, nous avons recours à la méthode du flipotage qui consiste à envoyer des tourillons plongés dans la colle chaude à travers les fentes dans les barrages. Dans un deuxième temps, les gravures sont réencollées. Les trous de la table étant masqués, chaque gravure est noyée de colle chaude, rapidement on ouvre les trous et on laisse s'écouler la colle. Cette opération doit se réaliser rapidement, dans une atmosphère très chaude. On laisse le sommier sécher environ deux à trois semaines. Pendant ce temps toutes les pièces mécaniques peuvent être restaurées : dressage des soupapes, remise en peau du joint de fermeture, nettoyage des pièces en laiton à l'acide chromique ou remplacement pour celles qui sont trop abîmées.
Au remontage, la table et le siège des soupapes sont dressés à la varlope pour obtenir une parfaite planéité. Il fallait faire très attention car le sommier présente un affaiblissement dans son milieu, nous avons donc dû laisser un peu de flèche au centre pour ne pas trop diminuer la table. Sur la table on colle une peau pour chaque registre. Cette peau est destinée à faire joint entre la table et le registre. La chape n'a pas de peau et se trouve donc bois sur bois avec le registre. Il faut varloper soigneusement chaque élément au fur et à mesure du remontage de façon à ce que chaque pièce plaque totalement sur l'autre, sans aucun défaut. Dans la phase finale, pour que le registre puisse glisser entre la table et la chape, la chape est calée avec du papier cigarette pour laisser un léger espace et est paraffinée. Cette méthode est utilisée par Debierre de préférence au graphite. J'avais entendu parler de suif mais la paraffine me semble aussi efficace et est surtout beaucoup plus stable, il faut parfaitement bouche-porer puis lustrer jusqu'à obtention d'un poli miroir.
À Richelieu le parcours mécanique est direct pour le Récit, c'est à dire que la soupape est dans l'alignement du clavier. Au Grand-Orgue, nous avons une succession de balanciers en éventail dont la conception fait penser à la mécanique de l'orgue de la Basilique St Denis (mis à part qu'à St Denis les balanciers ne sont pas en éventail). Un premier balancier est tracté directement par les vergettes avec pour seul intermédiaire un petit abrégé de 18 notes pour le ravalement #, qui pousse deux balanciers superposés, l'un pour les anches et l'autre pour les fonds. Aucun défaut dans cette mécanique autre que l'usure des pièces d'axe. Il y avait néanmoins un problème sur les claviers : le tilleul utilisé était très attaqué par les vers. Dans un premier temps, nous avions pensé sauvegarder l'ensemble, mais l'étude montra de graves défauts dans la fabrication, défauts engendrant des frottements trop importants. En accord avec le maître d'œuvre, nous décidâmes donc de refaire les claviers en copie, tout enconservant le placage d'origine en ivoire.
La première opération est de déposer les ivoires et les ébènes des anciens claviers. Puis d'établir un relevé des espacements entre chaque touche. Les nouveaux claviers sont débités par blocs dans du tilleul choisi sur quartier. Les blocs (7 et 5 notes) sont collés entre eux avec un papier journal pris entre chaque, ils sont tracés et rainurés pour fixer le fronton en merisier. Les blocs, à nouveau séparés, sont mortaisés, les pointes sur le châssis sont alors tracées. Les touches sont délignées à la scie ruban, sans voie. Elles sont replacées sur le châssis muni de ses pointes et de ses feutres et sont rectifiées au rabot pour obtenir un espacement régulier. Les placages sont collés et pressés puis poncés et lustrés. L'ensemble de ces opérations dure quatre à cinq jours pour un clavier.
Les caractéristiques principales de la mécanique sont les suivantes :
Il n'y a pas de charpente de console indépendante. Les claviers sont maintenus par deux traverses qui prennent appui sur la charpente interne à l'avant et à l'arrière du buffet avec un assemblage à mi-bois.
L'accouplement des deux claviers est commandé par un tirage de registre placé à gauche. Le dispositif est d'une grande simplicité mais pas d'une grande fiabilité. Il s'agit d'une sorte de peigne muni de pilotins graphités, placé entre les deux claviers à leur extrémité. Ce peigne tourne pour mettre les pilotins soit en position verticale, auquel cas ils poussent les touches du récit lorsqu'on actionne le Grand-Orgue, soit en position horizontale. Il n'y a aucun réglage posible autrement qu'en recalant le dessous des touches avec du parchemin. Les claviers étant neufs, il n'y a eu aucun calage à faire.
La tirasse est obligée. Du petit pédalier de 18 notes partent des balanciers obliques qui rattrappent la division du clavier. Des pilotes poussant relient les balanciers à l'arrière du clavier de Grand-Orgue, en passant à travers la charpente...
La mécanique des registres est de conception très traditionnelle. Pour le Grand-Orgue une succession de deux rouleaux de forte section conduisent le mouvement à un sabre de tirage directement pris dans la tête du registre. Au récit c'est une succession de deux équerres qui transmet le mouvement issu du premier rouleau. Les défauts majeurs de ce tirage sont d'une part le mouvement oscillant de la tête du registre au Grand-Orgue et, d'autre part, le manque de régularité des courses. Ceci est très net pour les registres de Cornet et de Basson qui ne peuvent avoir qu'une demi-course pour ne pas se contrarier. Il apparaît ici que le Basson n'a certainement jamais été posé dans l'orgue, nous n'avons par ailleurs trouvé aucune trace de faux sommier ni de croissant.
Dans le cadre d'une restauration, le travail du facteur d'orgues consiste en une gestion de l'existant. La restauration se doit de résoudre tous les problèmes d'affaissement, de soudures cassées, de tuyaux déchirés, décalés ou même totalement disparus sans modifier.
Dans le cadre de Richelieu, le patrimoine existant est en bon état. Mis à part l'affaissement de la façade et de la Trompette, la disparition de 4 tuyaux du Nasard, des jeux entiers du Basson et du Cornet, le pavillonage de la Voix Céleste et la lèpre de l'étain sur les pieds des tuyaux d'anche. Le reste de la tuyauterie soit 488 tuyaux sur 804 ne nécessitait qu'un bon nettoyage et un débosselage.
Les opérations les plus simples sont réalisées en atelier. Celles touchant à la modification sonore sont réalisées sur place après écoute. Le nettoyage se fait à l'air comprimé et au jet d'eau. Les tuyaux ne sont pas soumis à des produits détergents ou caustiques qui pourraient entraîner, à long terme, des réactions d'oxydation. L'alliage d'étain et de plomb est ici dans une proportion de 58% d'étain, curieux alliage qui peut laisser penser à une refonte d'ancienne tuyauterie sans se soucier de l'alliage en résultant.
Pour la reconstitution des tuyaux manquants ou disparus, nous avons utilisé les relevés réalisés lors de l'étude préalable. En reconstituant les diamètres par rapport à ceux existants, on justifie les paramètres de fabrication.
L'harmonisation est assez naturelle, ce qui donne à l'instrument un côté un peu rustique dû au manque de finition. Cette harmonisation est obtenue en travaillant avec des ouvertures de bouches plutôt hautes, des biseaux finement dentés mais en nombre, des pieds ouverts et des lumières pincées. La progression sonore des jeux est assez linéaire.
La coupe d'accord sur le ton donne peu de marge pour une égalisation, si bien que quelques défauts subsistent (surtout dans les Bourdons). De même la Flûte Bonn qui est très poussée et pour laquelle il n'a pas été possible de rectifier deux tuyaux un peu faibles, cette Flûte a aussi la fâcheuse tendance à se fausser par rapport aux autres jeux suivant l'hygrométrie.
Les tailles très étroites du Récit, sans freins harmoniques, sont très difficiles à stabiliser, il est certain qu'un nombre important de bouches avaient été remontées. En suivant l'égalisation, nous avons rebaissé une dizaine de tuyaux qui étaient totalement détimbrés.
Enfin sur les jeux d'anches, nous avons conservé le maximum de languettes anciennes, nous contentant de remplacer celles qui étaient irrémédiablement pliées. Le métal de ces languettes est raide, peut-être recuit, il donne une sonorité légèrement métallique, difficile à traiter sur la deuxième octave. Le plus surprenant est le Hautbois dont les proportions de cette deuxième octave sont totalement fausses, il lui prend un air de Clairon qui n'est pas habituel à ce jeu. A Plougasnou (Heyer 1852), j'ai trouvé un peu le même style de languette et de Hautbois; fournisseur commun ?