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On connait peu l'histoire de la vie de Jules Heyer. Son installation à Quimper serait due au travail réalisé par Cavaillé-Coll à la cathédrale de Quimper en 1848, travail auquel il aurait collaboré. Le premier instrument connu de Heyer, sera construit en 1850 pour la chapelle de l'hôpital Gourmelin à Quimper. De petits travaux furent, sans doute, confiés au jeune facteur avant cette création mais nous n'en avons pas de traces. Les chantiers se succédèrent jusqu'en 1877, année de sa dernière construction à Pleyben.
Sa production est importante. Durant les 27 années de créativité, 22 instruments sortiront de ses ateliers, et encore ne s'agit-il là que des instruments recensés à travers l'inventaire réalisé en 1987, nous verrons qu'il y a de nombreuses périodes vides difficilement explicables. Sa production est principalement située sur le département du Finistère (17 orgues). On peut penser qu'il su donner une dynamique de construction et trouver les appuis nécessaires auprès des autorités religieuses. Dans les autres départements bretons, St Gildas d'Auray est, aujourd'hui, le seul rescapé morbihanais, ô combien important car c'est aussi le seul trois claviers possédant tout son matériel d'origine, l'autre instrument de ce département, Guidel, a brûlé. Dans les Côtes d'Armor, il construisit les deux orgues de Lannion ainsi que Prat, ce dernier classé Monument Historique vient de faire l'objet d'une restauration.
Nous verrons dans le descriptif technique que la facture de Heyer est, en France, unique en son genre. Alors que dans l'hexagone se répandent les idées et «améliorations» de l'orgue romantique dont l'instigateur est, évidemment, Aristide Cavaillé-Coll, Heyer restera fidèle, du premier au dernier chantier, au style d'instrument qu'il affectionne. À tel point que l'on retrouvera, au jeu près la même composition sur des instruments que vingt ans séparent. La Flûte, tantôt Harmonique, tantôt Octaviante, et la Voix Céleste (rare), seront ses seules concessions à la modernité alors que le pédalier aura, invariablement, 25 notes et une seule tirasse.
Il meurt à Quimper après 1900, dans le plus complet dénuement.
Dans de très nombreux cas, les orgues de Heyer prennent place dans des buffets anciens. Le schéma principal étant GO/Récit, les Positifs de dos sont tous vidés de leur tuyauterie, à l'exception de St Gildas d'Auray où le troisième clavier est conservé. La présence de tuyauterie ancienne réutilisée est très fréquente car il ne répugnait pas à réutiliser les bons matériaux. Certains instruments seulement déplacés ou relevés furent respectés. Sans doute les instruments renommés tels que Sizun, Pleyben, Rumengol étaient-ils considérablement délabrés ou pillés lorsqu'il y intervint.
Les éléments historiques concernant l'orgue de Plougasnou sont assez confus. Ils s'appuyent, en partie, sur un ouvrage écrit en 1891, soit quarante ans après la construction de l'orgue. Les éléments sont les suivants : orgue de Jules Heyer, construit en 1852 pour la chapelle St-Joseph à Saint-Pol de Léon et transféré, toujours par Heyer, en l'église de Plougasnou en 1872. Cet instrument, initialement prévu pour 14 jeux, aurait été installé avec seulement 7 jeux sur un seul clavier, puis aurait été complété lors de son installation à Plougasnou mais avec uniquement 12 registres.
La restauration permet de faire un bilan technique des méthodes de Heyer. Mais au lieu de venir étayer la tradition historique, les études réalisées posent un certains nombre de problèmes dont la solution ne pourra apparaitre qu'après une étude complète des autres instruments encore existants. Le principal élément manquant consiste en une étude très précise des modes de construction de la tuyauterie et des marques, entre 1850 et 1877.
Le buffet actuel a-t-il été fait pour la tribune de Plougasnou ? On remarquera sa ressemblance avec d'autre buffets de Heyer, notamment Prat (1866). L'immense poutre qui traverse la nef au-devant de l'orgue, cache le remarquable travail de sculpture des tourelles et des claires-voies. Les tourelles latérales ont été recoupées pour suivre la voûte. Mais son assemblage par pointes le rendait quasiment indémontable et aucune trace de modification n'a pu être relevée.
Sans doute ces buffets étaient-ils sous-traités car de nombreux problèmes de mise en place de la partie instrumentale ont dû être résolus. Problème de passage de la mécanique de pédale, panneaux défoncés et montants entaillés. Problème d'accrochage de la charpente interne, c'est le seul buffet (30mm d'épaisseur) qui sert de montants, les traverses sont maintenues à l'arrière par des sabots en fer et par tenons à l'avant sur une traverse de renfort. Enfin la console n'est pas de niveau par rapport au buffet, elle doit être recalée à gauche pour s'adapter parfaitement.
Elle présente le schéma classique de console Heyer. Le traitement des claviers est caractéristique : claviers suspendus, feintes en ébène arrondies, naturelles en ivoire, les bras et les frontons sont en chêne recouvert d'un placage d'acajou. Le pédalier est à l'allemande avec une division très large et des feintes à l'ancienne à bec de perroquet. Le pupitre occupe toute la largeur des claviers et sert de panneau d'accès à la mécanique. Enfin les pommeaux de registres avec leur porcelaine de Quimper d'un diamètre impressionnant (50mm), sont répartis au dessus de la tête de l'organiste, tout à fait régulièrement, ce qui exclut la possibilité d'ajouter d'autres jeux.
La structure interne est d'une extrême simplicité : deux joues biseautées pour dégager le pédalier, sont maintenues par deux tablettes assemblées à queues-d'aronde, une tablette supérieure pour assurer le cadre et une tablette médiane pour poser les claviers. L'accouplement est à fourchettes, situées au-dessus des claviers, elles agissent en appuyant directement sur le clavier de Récit. De même la tirasse qui attrape directement les touches du pédalier prolongées par un fil de fort diamètre. Ces fourchettes sont collées sur une barre par un axe en parchemin. Enfin l'abrégé de réduction est entièrement en bois.
Deux grandes pompes à bras alimentent un réservoir à double plis. Ce réservoir occupe presque tout le soubassement de l'orgue. Il assure une pression unique de 85mm de colonne d'eau. Les portevent sont de bonne section et il n'y a pas de houppement. Le travail de construction de cet ensemble est remarquable. Tout d'abord du point de vue de la menuiserie. En effet, tous les assemblages, tant au niveau des cadres du réservoir que des coupes des portevent, sont à queues-d'aronde, en biais sur les portevent.
Il n'y a pas de panneau d'accès au réservoir, seule une trappe centrale permet de visiter le système de régulation. La technique de montage est donc radicalement différente de celles que nous sommes habitués à voir. Cette technique ressemble au montage des souffleries cunéiformes de G.Silbermann. Les éclisses sont liées sur les plateaux tous les dix centimètres et les joints de peau sont uniquement externes, en double épaisseur. La mise en œuvre est longue mais la résistance dans le temps est certainement doublée. Les aines sont simples mais très épaisses. Les poids sont de simples briques disposées sur tout le dessus du réservoir.
La mécanique est de type suspendue avec console sur le côté. De longs filetages traversent le départ des claviers puis sont repris, après l'accouplement, par des vergettes munies de bouteilles en cuir de veau rouge. Cette montée aboutit aux barres d'équerres à parts closes. Les équerres sont en laiton, non garnies. A partir des équerres, une nouvelle série de vergettes conduit aux abrégés. Ceux-ci sont entièrement en bois, des rouleaux parallèles en pitchpin sont pris dans un cadre en chêne très léger, dans lequel sont percés les axes. Sur les rouleaux sont collés et vissés des bras en poirier, soit droits soit en forme de patte de lapin. Enfin une dernière série de vergettes est accrochée de l'abrégé au sommier. Les vergettes sont en pin, garnies de crochets en laiton de diamètre 16/10e, un parchemin renforce le point d'attache des crochets. Le seul point de réglage sur le trajet des vergettes se situe au renvoi des équerres vers les abrégés.
La mécanique de pédale suit le même principe, elle traverse par endroits la charpente, et aboutit à une barre d'équerres en bois (hêtre) qui renvoient le mouvement vers une deuxième série d'équerres situées sous le sommier.
La mécanique des jeux est réduite à sa plus simple expression : un sabre en fer renvoie directement le mouvement du tirant au registre.
Les deux sommiers du Grand-Orgue et celui du Récit sont de conceptions légèrement différentes. Extérieurement, ils paraissent assez semblables. Mêmes layes en biais avec les portes encastrées assujeties par des coins de bois (avec, toutefois, des crochets en fer au récit au lieu des cales de bois). Dès que l'on ouvre la laye, des différences apparaissent : au Grand-Orgue les boursettes sont en peau, imprimées sur une bande unique et munies de jonc en chêne. Les soupapes sont massives, 32mm de large au C1, retenues en queue par leurs peaux de garniture, serrées sur leurs axes par une plaquette et un écrou, ce système les rend pratiquement indémontables. Au Récit, à la place des boursettes, une plaquette en laiton laisse le passage à des fils de faible diamètre (13/10e) d'où un continuel petit bruit de fuite à l'intérieur de l'orgue. Les soupapes sont démontables et d'un profil beaucoup moins massif.
La principale caractéristique de ces sommiers est le système des registres en flipots.
Le schéma ci-dessous montre le système en coupe.
Les registres sont équipés de ressorts en laiton, placés tous les 30cm. La seule pression de ces ressorts assure le maintien du registre, calé au fond entre la table et la chape. On échappe ainsi à tout risque de blocage, en contrepartie la mise en place doit être extrêmement rigoureuse. Pour éviter tout emprunt et soufflures, il faut que les trois pièces, table, registre et chape soient parfaitement dressées, de la même façon, sur toute leur longueur. Pour un bon résultat, cela représente, en moyenne, 3 heures de travail par jeu.
La facture interne est très classique : ceinture en chêne assemblée en cadre à queue-d'aronde, barrages en sapin, en chêne sur les points de vissage. Ces barrages en chêne sont assemblés à queues droites sortantes sur la ceinture, les différences de retrait en ces points provoquent les principaux emprunts. Des flipots sont calés entre les barrages pour reçevoir les axes de soupape et le siège est garni d'une peau mince. La table est rapportée, les joints étant soigneusement placés sous les faux-registres.
La tuyauterie est probablement l'élément le plus original dans la facture de Heyer. En effet, les méthodes de fabrication et l'harmonisation sont typiquement allemandes, comme si le passage chez A.Cavaillé-Coll ne lui avait rien apporté.
Le métal utilisé est riche, supérieur à 80% mais assez impur et d'une maille irrégulière. L'épaisseur de la feuille est très irrègulière, surtout dans les basses, ce défaut s'estompe au Récit. Les dessus sont raides mais le marquage prononcé de l'écusson, affaiblit les tuyaux au niveau de la bouche. Le cordon de soudure est plutôt étroit et la soudure est réalisée à fer chaud. L'impureté du métal entraine des problèmes de failles que l'on trouve, notamment, dans les jeux de Doublette et de Trompette; à tel point que certains tuyaux correctement ressoudés se trouvèrent beaucoup trop longs. L'écussonnage est ogival, très long et très plat sur la lèvre supérieure, court sur la lèvre inférieure. L'écussonnage inférieur devient arrondi dans la basse (au 2' ou 1' suivant les jeux). La largeur des bouches est légèrement supérieure au quart de la circonférence pour tous les principaux et bourdons, et tend au cinquième pour les jeux coniques. Enfin les biseaux, en étain, sont très épais.
Pour les tuyaux de bois, Heyer utilise la méthode des blocs-biseaux à partir du 8'. Le 16' a ses fonds assemblés à queues-d'aronde et les biseaux séparés. Les lèvres inférieures sont pentues, ce qui évite l'utilisation de freins ? Les tampons sont garnis de liège avec une peau pour assurer l'étanchéité, les basses sont sans manchons d'accord tandis que les manchons des dessus sont taillés dans la masse du bloc-tampon. Les bourdons en étain sont calottés avec une peau de porc velours.
En ce qui concerne les jeux d'anches, le Cor Anglais paraît de fabrication plus récente, le Hautbois et la Trompette sont d'origine. Les corps des basses de Trompette ne sont pas soudés au noyau mais sont seulement posés. Les canaux sont des canaux artisanaux, ouverts au 1/2. Dans les basses de Trompette, ces canaux sont progressivement peaussés puis deviennent à larme.
Jeux de fonds : les caractéristiques d'intonation sont très irrégulières. Il n'y a pas de préparation rigoureuse dans le travail d'harmonie. On sent que Heyer travaille tuyau par tuyau, en fonction du timbre mais sans règle et sans compas. Les hauteurs de bouche varient entre le quart et le tiers de la largeur. Les lumières sont moyennes et en fonction du vent au pied, sujettes à de forts écarts. Il y a peu de dents sur les biseaux, elles sont discrètes. Enfin on remarquera la présence de chanfreins sur les lèvres supérieures ou inférieures, parfois les deux. Cette dernière astuce permet de décongestionner le tuyau. En effet, l'épaisseur du biseau est telle que, dans les dessus, la moitié de la bouche est occultée, il faut donc diriger l'onde vers l'extérieur. Nous avons dû reconstituer deux ou trois tuyaux manquants et en appliquant ces méthodes, on travaille avec beaucoup de facilité. Le résultat est très chantant avec une bonne puissance.
Jeux d'anches : il faut distinguer le Cor Anglais du Hautbois et de la Trompette.
L'accord : le tempérament est parfaitement égal au La 432,6Hz à 13°. La tuyauterie se retrouve avec cet accord et ce diapason parfaitement coupée au ton, sans fraisages exagérés.